Guillaume Ehinger
GLIMPSES
Vernissage le vendredi 06 juin 2025 dès 18h00
Pour standard/deluxe, Guillaume Ehinger présente une nouvelle série de toiles teintes.
Glimpses est une installation faite de grands formats qui dialoguent entre les limbes de la
peinture de paysage et de l'abstraction.
Les teintures sont travaillées à l'état liquide puis présentées fixées dans leur mouvement,
témoin d'un temps malléable et de paysages intérieurs toujours fuides.
A travers des gestes simples, la pratique de Guillaume Ehinger explore les limites de
différents registres picturaux, entre l'appropriation d'un sujet et le souvenir qu'on en
garde. Ses compositions extraites de son quotidien sont pensées en couches à la fois
spatiales et temporelles, interrogeant tant le sujet que l'objet.
Guillaume Ehinger (*1988) est un artiste suisse basé à Vevey. Il obtient un bachelor
en Arts-visuels à l'ECAL en 2012.
En parallèle de sa pratique, il a conjointement créé et co-curate deux espaces d’art a but
non-lucratifs (artist-run spaces) a Vevey; STADIO de 2014 a 2018 et PANO depuis 2021.
Ce n’est qu’à force de le connaître que j’ai compris que Guillaume Ehinger n’était pas un artiste abstrait.
Qu’il ne rejouait pas cet héritage-là, auquel je l’avais tout d’abord rattaché. Un héritage par rapport auquel
toute nouvelle prise de parole dans la peinture semble, ici, devoir se positionner.
Glimpses est un panorama en mouvement, qui englobe presque tout l’espace des murs. Le regard ne s’y
arrête pas : il parcourt plutôt l’horizon au fil de la composition rythmique que l’accrochage propose.
Mouvement de gauche à droite, point – ligne – contrepoint, mouvement de droite à gauche. Chaque
séquence est écrite pour donner cette sensation de vitesse et de musicalité percussive.
L’écho de la surface des toiles, celui qui se reflète sur le sol brillant, verni pour l’occasion, ouvre un autre
plan de perception, liquéfié et trouble celui-ci. Cet écho se recompose encore et à nouveau, entre son
apparition et sa disparition, au fil de nos déplacements dans la salle d’exposition.
Alors quand je regarde ces abstractions qui n’en sont que de prime abord, à chacune des expositions où
je les ai rencontrées ces trois dernières années (Safe Crash à Pano à Vevey, qui montrait des toiles
réalisées durant une résidence à Gênes; End of Day chez Mono, Lisbonne; Breathers Before the Blaze il y a
tout juste quelques mois chez Indiana, aussi à Vevey), c’est toujours au paysage que je pense. Mais aussi
aux sons et aux mouvements qui traversent celui-ci.
Lorsque l’on voit de près ces tableaux peints, ou plutôt teints et déteints, l’une des premières surprises
est la trace de la matière. Là où une certaine école suisse de l’abstraction avait habitué à l’ultra lisse et à
la virtuosité, cherchant à effacer chaque accroc du geste par la perfection de son exécution, ici nous
voyons des empreintes qui grincent, des grisailles qui spleenent, des pigments arrêtés en pleine
diffusion, des harmonies de couleurs presque dissonantes. Les traces de poudre (du pigment de teinture
pour tissus) et de sels de fixation sont comme un sédiment de l’alchimie qui s’est opérée sur la toile.
M’éloignant du sentiment de la peinture, ces sédiments salins me rappellent les procédés de fixation de
l’image. Face à eux je pense aussitôt aux luminogrammes de Wolfgang Tillmans (les séries
Freischwimmer et Blushes), aux Abstrakte Bilder et aux Strips de Gerhard Richter. Mais aussi au
traitement de la vitesse par la technique du step printing chez le cinéaste Wong Kar-Wai et son directeur
de la photographie Christopher Doyle (dans Fallen Angels ou Chungking Express notamment), aux plans
presque abstraits et détachés de toute narration littéraire de Germaine Dulac. Comment parler du geste
de peindre lorsque l’on doit tout régler dans un cadre donné, en un instant donné, et y compresser
plusieurs images-temps en une seule ?
Dans la pratique de Guillaume, il ne s’agit pas d’abstraction, mais à chaque fois de peinture de paysage.
Et, plus précisément, de paysage traité par la peinture sur le motif. Est-ce un lieu qui est ici représenté, un
endroit à ce moment particulier ? Ou tous les lieux en même temps, à tous les instants ?
C’est précisément cette différence du point de vue – peindre hors et dans l’atelier – qui sépare par
exemple la pratique de Claude Monet et celle de Joan Mitchell. Mais c’est aussi la notion qui les
rapproche, puisqu’ils peignaient dans la même région de France. C’est également ce décalage de réalité
et de geste qui fait que Paul Cézanne ne représentait pas tout fait la beauté du paysage de carte postale
qui s’offrait à lui, là où tout son époque l’attendait pourtant. C’est un tout autre affect qu’il choisissait de
peindre.
Chaque discussion qui a rythmé nos rencontres avec Guillaume m’a amené à mieux comprendre une
sensibilité et une lecture du monde dont je découvrais la singularité. Nommer les oiseaux, parler de
géologie, de mouvement, des matières, de techniques de mesure du temps, d’émaillage, des peintures
spécifiques aux cadres de vélos. Avec, toujours, une lecture stratigraphique des éléments.
Ses promenades d’enfance sur les montagnes, durant les années où il accompagnait son père en charge
des études et observations sur site de l’évolution du glacier du Trient.
Je me disais que la réponse était précisément là: lorsque l’on voit des images de ce glacier alpin en train
de disparaître, le blanc de sa glace est sali, des failles y apparaissent, le paysage idéal n’est plus. Il n’y a
plus qu’une résistance de la matière, face au climat, face aux pollutions, face à sa propre disparition,
même.
Observant avec méticulosité ce qui l’entoure, et calculant déjà le geste suivant. Comme s’il avait pu
mettre en oeuvre dans sa pratique tout à la fois les rouages de la passion familiale pour l’ornithologie et
l’observation de la nature, les récits sur son oncle chercheur en physique et mathématique sur l’univers,
et ce qui l’a formé pendant des années de pratique du judo et du MMA. Comme si, en résidence, en ayant
enfin mis le temps en pause et en l’ayant alors passé à observer le paysage de Gênes lui avait permis de
se retrouver à nouveau comme un observateur du monde qui se présentait devant lui. Depuis se masse à
chaque exposition une strate supplémentaire de son corpus.
Les paysages de Guillaume sont beaux mais ils ne sont pas immaculés. Les traces des passages y sont
visibles, et rien n’y est lisse quand on les observe vraiment. On voudrait y croire encore, à cette beauté
presque idéalisée, mais la fragilité de son état présent la rend encore plus forte.
C’est sans doute cela qu’est devenue la peinture sur le motif, à l’ère des images virtuelles, optimisées
pour répondre à des médians de satisfaction algorithmique et pour se restreindre aux désirs d’un
individualisme capitalisé. C’est peut-être dans cela que résiste le geste de peindre : donner à voir ce que
l’on ressent en dehors de l’atelier, la fragilité, le bruit, le temps qui passe, et cette éternelle question :
qu’est-ce qui fait que l’on s’accroche encore à vouloir faire des oeuvres quand le monde nous submerge
de son chaos et que notre civilisation doit se confronter à sa révolution pour ne pas disparaître ?
C’est ce tourbillon de doute et d’espoir, avec sa vitesse percussive, que Guillaume Ehinger nous propose
aujourd’hui d’entrevoir avec Glimpses.
Texte de Latifa Echakhch
